2015, 2016, 2017, 2018, 2019, 2020, des auteurs, des photographes, des dessinateurs, des créateurs ont été privés de leurs droits sur leur œuvre, suite à une censure judiciaire sans précédent.
Cette censure judiciaire qui frappe les auteurs nous concerne tous. Personne n’a le droit de nous imposer ses goûts ou son idéologie en matière culturelle. La culture est notre bien commun. Chaque coup porté à la culture est un coup porté à chacune et chacun d’entre nous.
Et ce n’est pas près de s’arrêter, la situation est même de pire en pire : le contrôle des œuvres, qui opère dans l’ombre depuis des années, est en passe d’entrer dans la loi.
Le rapport du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), remis à Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, le 15 décembre 2020, a de quoi sérieusement nous inquiéter. Il cautionne ouvertement la discrimination des œuvres en fonction du genre, considérant que la loi est destinée à protéger « les œuvres créées dans une intention exclusivement artistique et qui se distinguent, par là-même, de celles qui ne partagent que partiellement ou accessoirement ce dessein : les œuvres techniques et utilitaires. » (p.72 du rapport)
Qu’est-ce à dire ? Qu’un texte philosophique, un essai politique, un ouvrage pédagogique, une biographie, un article ou un dessin de presse, une thèse, un tableau figuratif, une photo de guerre ou encore un documentaire ne serait pas protégé par la loi ? Qu’on n’aura plus à citer les Platon, Rousseau, Jaurès ?
Outre que la culture ne peut être réduite à l’art, et que l’art ne peut être réduit à l’esthétisme, la loi n’a pas vocation à protéger les œuvres exclusivement artistiques mais toutes les œuvres de l’esprit.
Les autorités judiciaires et politiques semblent bien décidées à contrôler les œuvres. Les préconisations du CSPLA, transmises à la ministre de la Culture, ne laissent aucun doute à ce sujet, en confortant la jurisprudence qui sévit depuis quelques années, en France, et qui consiste à juger les œuvres sur la base de critères purement subjectifs.
Dans le cadre de cette jurisprudence, il suffit que le juge décide, sans raison particulière, ou bien parce qu’il trouve son sujet banal et sans intérêt, ou encore parce qu’il n’aime pas son genre ou son style, qu’un livre, un dessin, une photo ou un tableau n’est pas une œuvre de l’esprit, et ce n’est plus une œuvre de l’esprit !
Ce n’est pas seulement insultant ou humiliant pour le travail de l’auteur, tel l’avis d’un critique qui froisserait son ego. C’est beaucoup plus grave car cette opinion personnelle, que l’on ne s’attend pas à trouver dans un tribunal, a des conséquences juridiques terribles : l’œuvre qui ne trouve pas grâce aux yeux du juge est bannie. Elle n’est plus protégée par la loi. Elle peut être reproduite, diffusée, pillée, en partie ou en totalité, sans le consentement de l’auteur. L’auteur est même à ce point méprisé qu’il n’a plus à être cité.
La spoliation est totale : l’auteur n’a plus son mot à dire. Le juge a les pleins pouvoirs sur une œuvre qu’il n’a ni écrite ni créée.
C’est une dérive très grave dans une démocratie. Cette censure judiciaire est une honte pour notre pays.
Pour s’en défendre et pour donner un semblant de légitimité à la censure, les magistrats et les autorités politiques considèrent qu’il ne s’agit pas de juger les œuvres mais d’en apprécier l’originalité. Seulement, quand on juge l’originalité sur la base de critères subjectifs, c’est du pareil au même.
Le fait d’apprécier l’originalité, en dehors de tout cadre légal et objectif, est reconnu en ces termes par le CSPLA : « L’originalité est une création purement jurisprudentielle. L’originalité s’apprécie traditionnellement de manière subjective. »
L’affaire est pliée. Le juge, qui veut bannir une œuvre, n’a plus qu’à dire que l’auteur n’a pas su faire la preuve de l’originalité.
Et c’est précisément ce que les juges font : ils rendent la preuve impossible à faire, en écartant les éléments objectifs qui prouvent que l’œuvre est originale, à savoir l’antériorité, la mise en forme des idées, le traitement personnel des données, le choix du vocabulaire et, de façon beaucoup plus élémentaire encore, le caractère distinctif de l’œuvre par rapport aux œuvres existantes. Si l’on écarte les éléments objectifs, il ne reste forcément plus que des considérations subjectives.
C’est incompréhensible. On nage en plein obscurantisme au pays des Lumières. Pourquoi, si ce n’est pour avoir la mainmise sur les œuvres, apprécier l’originalité de manière subjective quand elle peut l’être de manière objective ?
Nous sommes dans l’arbitraire le plus total, et dans un arbitraire délibéré. Non seulement les juges jugent les œuvres mais ils les jugent selon leur avis personnel et leur idéologie.
J’alerte depuis des années sur cette situation qui vaut aux auteurs des procès dignes de l’Inquisition. J’ai été auditionnée dans le cadre de la mission menée par le CSPLA et reçue au ministère de la Culture en 2019. Suite à mon alerte, plus de 600 auteurs et créateurs ont signé une lettre ouverte aux ministres de la Culture et de la Justice, et près de 25 000 personnes ont signé une pétition pour dénoncer ce traitement judiciaire scandaleux.
Pourtant rien n’avance, la situation ne cesse au contraire de s'aggraver.
Certes, le rapport du CSPLA reconnait les nombreux dommages causés par cette jurisprudence : atteinte aux droits fondamentaux des auteurs, insécurité juridique, partialité des décisions rendues, preuve impossible à faire, arbitraire des motifs, discrimination au coût, violation des conventions internationales et des normes européennes. Difficile de faire autrement tant les auditions sont unanimes.
Mais, loin de réparer les dommages, le rapport du CSPLA préconise de faire entrer la jurisprudence dans la loi, c’est-à-dire de légaliser le contrôle des œuvres par les juges. Et pas n’importe quel contrôle, un contrôle exercé en dehors de tout critère objectif ! Le juge pourra continuer d’écarter les éléments objectifs qui prouvent l’originalité de l’œuvre et bannir à sa convenance des œuvres de l’esprit parfaitement originales. Depuis quelques années, il le fait en toute illégalité, demain, il le fera en étant couvert par la loi.
On marche sur la tête ! Les droits fondamentaux des auteurs et créateurs sont piétinés, jusqu’à leur droit le plus élémentaire d’être protégés par la loi.
Face à de tels abus, l’association EN QUÊTE DE JUSTICE demande :
- l’ouverture d’une mission parlementaire pour que toute la lumière soit faite sur la façon dont les auteurs sont jugés en France ;
- aux ministres de la Culture et de la Justice de prendre toutes les mesures préventives, conservatoires et réparatrices pour mettre les auteurs et créateurs à l’abri de l’arbitraire et réparer les dommages subis.
Il en va de l’égalité devant la loi, des principes historiques qui fondent notre démocratie et de l’avenir de la culture.
Parce que la culture nous unit, parce que la justice est rendue en notre nom, il est de notre responsabilité commune d’agir. Aux esprits libres que nous sommes de dire NON AU CONTRÔLE DES OEUVRES !
Un grand merci pour votre mobilisation…
Texte de la pétition : Corinne Morel, auteure, présidente de l’association EN QUÊTE DE JUSTICE et fondatrice du collectif « Je défends les auteurs »
Dessin de la pétition : Jean-Pierre Andrevon, auteur, dessinateur, journaliste
Pour rejoindre le collectif « Je défends les auteurs » et connaître les 600 auteurs et créateurs signataires de la lettre ouverte aux ministres de la Culture et de la Justice : lettre-ouverte-culture
Lien vers le rapport du CSPLA : rapportduCSPLA
Lien vers le rapport de notre audition devant le CSPLA : audition-au-ministère-de-la-culture
Vous êtes sûr ? Votre mobilisation est importante pour que les pétitions atteignent la victoire !
Sachez que vous pouvez vous désinscrire dès que vous le souhaitez.