Classes sans enseignants - édifiant!

16h35, devant l’école primaire.
Je vois la petite tête rousse de mon fils se dégager du troupeau bondissant qui jaillit de la grille. « Bonjour ». Bisou. « Tu as passé une bonne journée ? » Bisou. Il opine et s’empare de son goûter. « Ca y est ? Tu as une maitresse ? » « Nan » balance-t-il en croquant dans sa tartine…
Parce que depuis la semaine dernière, mon fils de 9 ans et toute sa classe de CM1 se retrouvent orphelins d’enseignante. Je sens déjà que vous flairez le drame : la brave dame aurait-elle succombé à une péritonite aigüe, laissant le rectorat brusquement bredouille ? Rassurez-vous. L’enseignante part simplement en formation, cela est programmé depuis une bonne moitié d’année… l’académie n’a tout bonnement pas été en mesure de fournir une remplaçante.
Ca y est, vous êtes rassurés ?
J’ai beau savoir que tous les fléaux de la jeunesse sont attribuables à l’armée barbare des « parents démissionnaires », je lutte pourtant pour maintenir ma crédibilité parentale face à cette épreuve. Comment expliquer à mon petit gars qu’il est essentiel d’être assidu à l’école alors que l’école elle-même trouve acceptable de se révéler buissonnière ? Comment lui faire comprendre l’importance de faire ses devoirs quand il n’y a personne pour les recevoir ? Comment lui donner l’exemple du respect d’une enseignante fantôme ?
Vous excuserez mon petit garçon, mais du haut de sa petite décennie, il a du mal à voir une maîtresse comme une fonctionnaire émanant d’une administration aux mécanismes complexes. Pour lui, c’est juste la dame qui fait pour lui la pluie et le beau temps huit heures par jour, qui le prend par la main sur les sentiers du grandir et qui, par la relation qu’elle construit avec ses élèves, leur donne envie d’apprendre. Et avec chaque jour qui passe, il constate surtout que les grandes personnes trouvent acceptable que ce poste reste vacant.
Bien sûr, l’équipe enseignante de l’établissement fait comme elle peut : les enfants sont dispatchés dans les classes déjà surchargées, tous niveaux confondus. Bien sûr je vois briller dans la prunelle de mon gamin le plaisir d’encore une journée de classe pas comme les autres, une sorte de brasse coulée collective et drôlement marrante. C’est étrange, les yeux de la directrice sont autrement plus inquiets… elle n’a jamais connu de situation pareille.
Il me semble pourtant qu’on m’a dit : les réductions de poste dans l’Education nationale ne se feront en aucun cas ressentir dans la salle de classe. Comment interpréter alors les récits de plus en plus fréquents de cette pénurie de remplaçants qui laisse les classes et donc les cerveaux inoccupés pendant des semaines et des mois entiers ?
Il me semble aussi avoir entendu que le service public doit être géré comme une entreprise. Admettons que l’Education nationale est une entreprise et que comme toute entreprise, elle se doit d’optimiser un budget donné pour atteindre ses objectifs. En l’occurrence, l’objectif de former et d’éduquer une génération qui sera bientôt le cœur du peuple français. Je me demande quelle entreprise pourrait survivre en poursuivant aussi maladroitement ses objectifs ? Qui ferait fi de la science (en l’occurrence celle de la psychologie pédagogique) et se permettrait d’ignorer que son cœur de cible (les enfants) est singulièrement et systématiquement réactif au paramètres de constance et de pérennité de l’interlocuteur spécialisé (la maîtresse) ?
Ironie à part, va-t-on se contenter longtemps d’un roulement d’yeux