Monsieur le Maire,
En ce début de 2016, permettez-nous, tout d’abord, de vous adresser nos vœux de bonne année. Par votre intermédiaire, nous les souhaitons aussi à tous les Biterrois.
Professeurs d’histoire-géographie et d’éducation civique, nous constatons depuis bientôt deux ans au travers des publications du bulletin municipal ou des interventions médiatiques du premier édile de notre cité, un « certain » intérêt pour l’Histoire et le patrimoine.
En tant que professeurs et pédagogues, nous devrions nous en féliciter.
Hélas, l’instrumentalisation et le retricotage de l’Histoire à des fins strictement polémiques confinent désormais à une orientation idéologique telle qu’il nous a paru relever de notre devoir
de citoyens d’exprimer publiquement notre désaccord. Précisément parce que nous sommes des professeurs profondément attachés à la rigueur de la démarche historique.
Alors, en ce début d’année 2016, permettez-nous, Monsieur le Maire, au nom de l’ensemble[1] des professeurs d’histoire-géographie du lycée Jean Moulin, de vous adresser les trois vœux qui suivent en forme de requêtes.
Le premier vœu sera celui de l’apaisement et de la sérénité.
Parce qu’« ici, c’est Béziers » et que la situation nationale est déjà suffisamment tragique, les Biterrois ont, plus que jamais, un besoin impérieux de concorde et de confiance en l’avenir.
Aussi, débaptiser un nom de rue pour rouvrir des plaies et raviver de vieilles rancœurs en faisant de Béziers la vitrine de la réhabilitation de l’OAS ou créer un raccourci historique inapproprié en référence implicite à la crise des migrants « Quand les Barbares envahissaient l’empire romain[2] » ne nous paraît pas concourir à l’établissement d’un climat serein au cœur de notre cité.
De la même manière, ressusciter d’entre les morts les poilus biterrois dans un mauvais tour de spiritisme lors de la traditionnelle commémoration du 11 novembre[3] et leur prêter une interrogation sur « ce qu’ils penseraient des rues de Béziers où les Français doivent incliner la tête pour passer » tant l’insécurité y serait grande, nous paraît relever d’une utilisation pour le moins abusive et peut-être indécente de l’histoire.
Parce qu’« Ici, c’est Béziers », ville méditerranéenne de tradition républicaine pétrie de tolérance, le deuxième vœu sera celui du rassemblement et de l’unité : rassembler plutôt que diviser.
Ainsi, tenons-nous à rappeler, Monsieur le Maire, que l’organisation de manifestations religieuses dans un espace semi-public ne s’inscrit pas dans la tradition laïque garante de cohésion sociale et protectrice des libertés. Nous savons que Mairie et École sont deux piliers fondateurs de notre République laïque ; en ce qui nous concerne, nous sommes scrupuleusement attachés
au respect des obligations de réserve et de neutralité qui nous incombent sur notre lieu de travail et dans notre enseignement.
De même, se réclamer de Charles Martel[4] - « Je veux retrouver notre France […], celle de Charles Martel » -, ne peut, selon nous, contribuer à renforcer l’unité des Biterrois.
Au sujet de cette dernière et bien malheureuse référence historique, il convient de rappeler qu’en son temps, ledit Charles Martel fut le plus grand spoliateur de l’Église et surtout le bourreau
de notre cité qu’il mit à sac, pilla et incendia en 737[5].
Enfin, le troisième et dernier vœu sera pour nous le plus cher : celui du respect de la mémoire.
Parce qu’« ici, c’est Béziers », nous devons paix, respect et déférence à la mémoire de Jean Moulin, enfant de Béziers et unificateur de la Résistance française.
« Trop souvent, ceux qui nous attaquent se dissimulent derrière la figure de Jean Moulin. Ces gens-là sont des faussaires » twittait le premier magistrat le 9 décembre dernier, mettant en garde ceux qui voudraient récupérer l’héritage du plus célèbre des Biterrois.
Mais quelques heures plus tard, le même jour, le premier édile poursuivait dans un autre tweet : « Au nom de Jean Moulin, au nom de la République, nous ferons barrage à la gauche[6] ».
Nous rappellerons, Monsieur le Maire, qu’en son temps, Jean Moulin - dont le père était professeur d’histoire à Béziers - avait fait le choix lucide et courageux de ne pas se soumettre à une idéologie reposant sur l’exclusion, la division et la fascination malsaine pour un passé idéalisé. Homme de tolérance et de conviction, il avait su rassembler autour de lui et du général De Gaulle,
les résistants de toutes obédiences et de toutes origines, refusant de transiger avec le régime collaborateur de Vichy, dictature antisémite, xénophobe, régime d’ordre et d’exclusion aux antipodes de la République et de ses valeurs.
Nous n’avons pas la prétention d’être les dépositaires de la mémoire de Jean Moulin. Mais nous savons que si son cénotaphe se trouve au Panthéon, c’est parce qu’il était le visage de la France républicaine.
Alors, Monsieur le Maire, de grâce, précisément parce qu’ « ici, c’est Béziers », les professeurs d’histoire-géographie du lycée de votre ville qui porte cet illustre nom, font le vœu, à l’orée de cette année 2016, que vous cessiez de « torturer » la mémoire de Jean Moulin et que vous laissiez ses mânes reposer définitivement en paix.
Recevez, Monsieur le Maire, nos meilleures salutations.
[1] Professeurs du LPO auxquels se sont joints d’anciens professeurs d’histoire-géographie ayant enseigné au lycée Jean-Moulin de Béziers.
[2] Tweet de R. Ménard du 23/11/2015 recommandant l’article « Quand les barbares envahissaient l’empire romain » du Figaro-Histoire.
[3] Extrait du discours de M. le Maire lors de la commémoration du 11 novembre 2015.
[4] Extrait du discours de R. Ménard lors du meeting de Marion Maréchal-Le Pen, à Toulon, le 1er décembre 2015. Nous faisons le vœu, Monsieur le Maire, qu’au regard du triste sort de Béziers en 737, vous cherchiez encore longtemps « la France de Charles Martel ».
[5] Henri Julia, Histoire de Béziers, Paris, Maillet, 1845, page 22, reprint Éditions de la Tour Gile, Péronnas, 1997
et dom Claude Devic et dom Joseph Vaissette, Histoire Générale du Languedoc, Tome 1, édition accompagnée de dissertations & notes nouvelles, Toulouse, Édouard Privat, 1872, page 807.
[6] Tweet du 9/12/2015 lors du second tour des élections régionales.
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