Le 02/03/2020
Nous demandons non seulement une imprescriptibilité des crimes sexuels et des délits sexuels aggravés
Mais également une interruption de la prescription
1- en cas de crimes sexuels en série
2- lors d’amnésie traumatique
chez les victimes (obstacle insurmontable)
https://manifesteimprescriptibilite.blogspot.com
15 février 2020
Dre Muriel Salmona
Nous demandons une imprescriptibilité des crimes sexuels et des délits sexuels aggravés, et une interruption de la prescription dans les cas suivants :
Depuis le lancement en octobre 2016 de notre Manifeste pour l’imprescriptibilité des crimes sexuels co-signé par 26 associations et dont la pétition de soutien a été signée par plus de 38 000 personnes, puis en octobre 2017 de notre Manifeste contre l’impunité des crimes sexuels co-signé par 29 associations et dont la pétition de soutien a été signée par plus de 102 000 personnes, la déferlante #MeToo a libéré la parole de très nombreuses victimes, des scandales ont éclaté montrant à quel point la pédocriminalité touchait en toute impunité, tous les enfants de tout âge et de toutes conditions (et plus particulièrement les filles et les enfants les plus vulnérables), tous les univers dans lesquels ils grandissent, se développent et évoluent (famille, institutions, éducation, soins, loisirs, activités sportives, culturelles, cultuelles,…) et fait prendre conscience de son ampleur et de sa gravité. Le temps du déni, de la tolérance pour les pédocriminels et de la loi du silence est en train de devenir révolu, celui d’une réelle protection, d’une prise en charge spécialisée des victimes et d’une lutte contre l’impunité commence.
Rendre justice, offrir une protection, des soins, un accompagnement social et des réparations aux victimes de pédocriminels, protéger tous les enfants, doit être une priorité.
Pourtant l’immense majorité des enfants victimes de ces crimes sexuels et ces délits sexuels aggravés restent abandonnés, sans protection ni soins, à devoir survivre seuls face aux violences et aux conséquences psychotraumatiques catastrophiques de celles-ci sur leur vie et leur santé.
Et ces crimes sexuels et ces délits sexuels aggravés, malgré leur ampleur et leur gravité restent presque tous impunis mettant ainsi en danger des générations d’enfants et toute la société.
La prescription, en empêchant d’instruire des crimes sexuels et de les juger, participe à cette impunité et à cette mise en danger des enfants et de la société.
La prescription est particulièrement injuste pour les victimes de viols et de délits sexuels aggravés dans l’enfance, la grande majorité des enfants victimes étant du fait de leur immaturité, de leur grande vulnérabilité, de leur dépendance et de l’intensité de leurs traumatismes dans l’incapacité de révéler les viols avant de nombreuses années, et même par dizaines d'années. Dans notre enquête conduite par Ipsos en 2019 sur les violences sexuelles dans l’enfance, les enfants victimes de viols sont 69% à parler (le plus souvent à quelqu’un de leur entourage proche) et ils mettent en moyenne 14 ans avant de pouvoir le faire, et plus de 25 ans pour ceux qui étaient âgés de moins de 10 ans au moment des viols. Mais parler n’est pas synonyme d’être protégés, ni soutenus pour porter plainte. En effet, quand les victimes arrivent enfin à parler, dans 75% des cas cela n’a aucun effet, et seules 8% des victimes ont été protégées, l’agresseur n’est éloigné de la victime que dans 6% des cas. Un quart des victimes côtoie encore l’agresseur et près d’une victime sur dix le croise régulièrement (MTV/Ipsos, 2019). Et pour porter plainte, il leur faut encore beaucoup de temps pour en avoir la force et trouver toutes les aides et la prise en charge nécessaires pour y arriver.
Cette prescription est d’autant plus cruelle et injuste que notre société ne laisse que peu de chance aux enfants victimes d’avoir accès à la justice en ne leur offrant pas de protection efficace, 83% d’entre eux disent n’avoir jamais été ni protégés, ni reconnus, et très peu de prise en charge spécialisée pour soigner leurs graves traumatismes et pour les soutenir socialement. Les professionnels de la santé et du secteur social et éducatif restent encore très peu formés à la prise en charge des enfants victimes de violences, et aux psychotraumatismes, de ce fait ils n’assurent que très peu de dépistage, de signalements (5% seulement des signalements sont faits par des professionnels de la santé, alors qu’ils sont en première ligne pour dépister les enfants traumatisés par des violences), d’accompagnements et de soins adaptés. 79% des professionnels de la santé ne font pas le lien entre les violences subies dans l’enfance (avec le traumatisme que cela a engendré) et leur état de santé, et seules 23% des victimes de viol ont bénéficié d’une prise en charge médico-psychologique spécialisée (MTV/Ipsos, 2019).
La situation actuelle avec la loi du 3 aout 2018 qui a allongé les délais de prescription des crimes sexuels sur les mineur.e.s de 20 à 30 ans après la majorité est insuffisante. Elle ne concerne pas les délits sexuels aggravés qui restent prescrits 20 ans après la majorité. Elle laisse sur le carreaux, avec un fort sentiment d’injustice, une grande quantité de victimes qui ne pourront pas avoir recours à la justice pénale puisqu’elle est non rétro-active pour les crimes déjà prescrits. Un pédocriminel ayant sévi de nombreuses années avec beaucoup de victimes sur lesquelles il aura commis les même crimes, ne sera jugé que sur les faits non prescrits, de ce fait, certaines victimes pourront accéder au procès et d’autres pas, quand bien même elles auront été à l’origine de l’arrestation du pédocriminel en ayant eu le courage de le dénoncer, comme cela a été le cas pour la championne de tennis Isabelle Demongeot avec l’entraineur De Camaret. Le procès aux assises de Le Scouarnec en mars laisse sur le carreau une des nièces, et le prochain procès va laisser sur le carreau de nombreuses victimes sur les 349 du fait de la prescription, des victimes qui ne pouvaient absolument pas porter plainte avant car elles étaient dans l’incapacité de se souvenir des faits, soit parce qu’ils ont été commis lors de leur anesthésie, soit parce que les victimes ont développé comme il est fréquent de le constater, des amnésies traumatiques qui pour certaines durent encore, ou bien parce qu’ils n’en avaient pas la force du fait de l’impact des violences sur leur santé, ou n’avaient pas la capacité d’identifier les faits que le contexte des soins rendaient très confus et incompréhensibles malgré des symptômes importants mais très difficiles à mettre en lien avec ce qui s’était passé, soit parce qu’ils étaient très traumatisés, anesthésiés par un état de dissociation traumatique ou dans des conduites d’évitement envahissantes. Comment la prescription peut-elle être justifiable dans ces cas, aucun des arguments qui nous sont habituellement opposés ne peut tenir comme le droit à l’oubli ou le dépérissement des preuves, et même le fait de vouloir réserver l’imprescriptibilité aux crimes contre l’humanité, comment une telle atteinte criminelle sur autant d’enfants ne constituerait-elle pas un crime contre l’humanité par son caractère massif et systémique, cruel et inhumain, et ses conséquences à long termes touchant plusieurs générations d’enfants. Il est important de rappeler que même lorsqu’il n’y a pas plusieurs victimes, le dépérissement des preuves ne peut être considéré comme un fait, le temps étant plutôt un facteur qui permet aux victimes de sortir de leur amnésie traumatique, d’être mieux protégées, de mieux comprendre et analyser ce qui leur est arrivé et la mémoire traumatique des violences peut être analysée de façon très précise et fournir de nombreux indices sur les violences leurs contextes qui permettront de corroborer les faits ou qui permettront de constituer des faisceaux d’indices suffisamment graves et concordants pour qualifier les faits. Il est à noter que de nombreux viols sur mineurs qui sont signalés très rapidement n’en sont pas moins classés sans suite faute de preuve considérées comme suffisantes : il est à rappeler que 74% des viols sur mineurs sont classées sans suite ! (Info Stat Justice, 2018). Comment cette atteinte aux droits de ces victimes est-elle encore tolérable ?
Les enfants subissent donc une perte de chance très important et une triple peine : être victime de violences sexuelles particulièrement graves et traumatisantes, ne pas être secourus et ne pas être pris en charge, ne pas accéder à la justice et à des réparations.
Je vous remercie beaucoup pour votre mobilisation, la loi réformant la prescription vient d'être définitivement votée, les parlementaires ont rallongé les délais de prescription pour les crimes et les délits qui passent respectivement de 10 à 20 ans et de 3 à 6 ans. Malheureusement, malgré nos importantes mobilisations, les délais de prescription concernant les mineurs victimes de crimes et de délits sexuels aggravés n'ont pas été modifiés, ils restent de 20 ans après la majorité.
Mais un nouvel article - l'article 9-3 - sur la suspension de prescription pour tout obstacle de droit et de fait insurmontable rendant impossible l'action publique pourrait permettre une suspension de la prescription en cas d'amnésie traumatique de dissociation ou de psycho traumatisme grave, il faudra attendre une jurisprudence.
D'autre part une mission de consensus sur la prescription a été lancée par la ministre Laurence Rossignol, cette mission est présidée par Flavie Flament et j'y participe. Elle va permettre de faire valoir nos arguments auprès des plus farouches opposant à l'imprescriptibilité. Elle doit rendre ses conclusion fin mars. En attendant le combat continue, plus que jamais nous avons besoin d'être très nombreux à réclamer l'imprescriptibilité des crimes sexuels!
Mercredi 22 février, à l'occasion de la journée européenne des victimes l’association Mémoire Traumatique et Victimologie lance une nouvelle campagne STOP AU DÉNI 2017 sous la forme d’un MANIFESTE STOP AUX VIOLENCES FAITES AUX ENFANTS avec une campagne d’engagement en 10 actions, une pétition de soutien (de nombreuses personnalités et associations l'ont déjà signée) a été également lancée : Stop aux violences faites aux enfants.
Pétition que vous pouvez signer et partager, la suppression de la prescription fait partie des engagements que nous demandons.
Avec toutes mes amitiés, je vous remercie encore de lutter contre les violences faites aux enfants, pour leur protection et le respect de leurs droits à l'accès à une véritable justice digne de ce nom et à des soins,
Dre Muriel Salmona, présidente de l'association association Mémoire Traumatique et Victimologie
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