"Tête au carré", I want you back!

Sciences + démocratie

« La tête au carré » de France Inter, c’est fini.  La nouvelle tombe comme un coup de massue à quelques jours des résultats des élections européennes ayant asséné celui de l’irrémédiable montée des populismes. Alors que de fortes controverses liées à la post-vérité, notamment parties des Etats-Unis en 2017 pour lancer le mouvement de la marche pour les sciences, sonnent actuellement l’urgence de (re)mettre les sciences au cœur du débat démocratique, alors que de multiples positions anti-sciences pervertissent nombre de débats publics essentiels pour notre avenir, on apprend, nous, à notre échelon, que « la tête au carré » ne sera plus au programme de France Inter.

Comme pour nous faire avaler la pilule, on apprend dans le même temps qu’une nouvelle émission, la « terre au carré » sera programmée, à peu près à la même heure. A la place de, donc.

La terre, oui. La programmer « en plus » aurait été une avancée, la programmer, "à la place", est un recul. Dont je ne me remets pas. J’ai laissé passer quelques jours. Rien n’y fait.

C’est à la fois en tant que chercheure mais surtout en tant que présidente du collectif citoyen TousEnSciences (http://tousensciences.fr) que je prends la plume de la « révolte » aujourd’hui. Car pas plus que l’urgence climatique n’en est une, parler, avec les sciences, des enjeux et des changements contemporains, n’est une option. C’est une urgence, une nécessité, un « qui (devrait aller) va de soit ». Mais non, en fait, on supprime "latêteaucarré".

Il faut mettre les sciences au cœur du débat démocratique. Et c’est tous ensemble, dans l’entremêlement des sphères académiques, de celles des médias et de la médiation et de la mal-nommée « société civile », que nous devons nous réveiller pour agir.

Nous sommes tous concernés.  « La science est un merveilleux vecteur d’émancipation démocratique » nous rappelait Cédric Brun, philosophe des sciences à l’Université Michel Montaigne. Ecoutons-le : « Défendre les sciences, c’est revendiquer un projet d’accroissement d’une véritable culture scientifique qui dépasse justement la seule communauté scientifique pour irriguer la société dans son ensemble.  Il ne s’agit pas de viser une accumulation de connaissances acceptées sans examen, mais de favoriser les conditions de son examen critique. » Soulignons la dernière phrase : c’est l’esprit critique qu’il faut favoriser. On ne peut plus être expert de « tout » mais on peut « douter » de tout. Mais pas avec n’importe qui. Et pas n'importe comment.

Le savoir scientifique n’est pas une opinion. Contrairement à une croyance ou à une opinion, un savoir scientifique s’appuie sur la force de la preuve, la possibilité de le reproduire ou de le réfuter méthodiquement. Quelle que soit la science, humaine ou « dure », qu’il s’agisse d’économie, de «lettres anciennes, de médecin ou de physique quantique, la « base » est la même  : les méthodes de production des savoirs. Nous sommes là, nous chercheurs, pour produire des connaissances sur un principe simple : la réfutabilité. Si je vous dis « les délocalisations c’est pas juste une question de salaires », moi, je n’attends pas votre « avis » sur la question, et, en même temps, je ne vous livre pas « la vérité », je peux juste tirer cette conclusion de « mes » résultats, autrement dit « en l’état actuel de mes connaissances ». A la différence de l’opinion, les données « scientifiques » sont disponibles, réfutables, interprétables. Parce qu’elles sont « scientifiques », justement.

Une caractéristique majeure des sciences est de produire des connaissances tout en fournissant à chacun les capacités de porter un regard critique sur leurs conditions de production et donc sur leur valeur de vérité.

Pas de culture scientifique sans les scientifiques. Ces mots ne sont pas de moi. Je les reprends de Didier Moreau, et les fais miens car cloisonner les « mondes » n’est sûrement pas la bonne option. Il n’existe pas le « monde des sachant » qui guiderait le.la. prince.esse. Il est temps de faire descendre le chercheur de sa tour d’ivoire. Autrement que pour l’interpeler  en tant « qu’expert » (payé, détourné…), juste pour échanger.

Ce n’est pas notre « métier » de chercheur, ce n’est pas une «case à remplir » ? Non, mais c’est notre devoir. Nous l’oublions, trop « convaincus » dans cette « tour d’ivoire » qui nous fait croire trop « complexes » pour être audibles. Elle est sacrément confortable, cette « cape d’invisibilité », non ? Elle est surtout fausse. Nous avons tout à partager.

Et c’est une question politique .Comment faire pour que les décideurs, les médias, les citoyens, entendent, de manière non biaisée par les lobbies, les convictions, les croyances… ce que les chercheurs ont à leur dire ? Est-ce aux chercheurs eux-mêmes de s’organiser pour tenir un rôle responsable dans ce débat ? Comment peuvent-ils le faire ? Comment éviter qu’ils adoptent une posture morale et paternaliste en disant aux autres ce qui est bien (ou mal) pour eux et qui creuse le fossé entre les sciences et la société ?

Les réponses ne sont pas évidentes. Ces questions ne sont pas scientifiques, elles sont politiques et méritent d’être débattues. Tous ensemble, dans un espace ouvert associant sciences-média(tion) et société.

La « tête au carré » participait de cette ambition.

Comment ne pas être atterrés, alors ? Il en va de l’avenir de notre humanité sur la terre (qu’elle soit ronde, plate ou carré, elle s’en remettra, nous c’est beaucoup moins sûr). Il faut remettre les sciences au coeur des débatts démocratiques. Si la question ’environnement est indiscutable, elle n’est pas la seule dimension. Il y a l’IA et ses implications (économiques et sociales aussi), il y a le grand vide que va créer l’éradication de « latêteaucarré ». Il est indescriptible tellement il est grand. Et, je le croyais, évident.