Nous, citoyens azerbaïdjanais, d’âge, de sexe, de nationalité et de statut social différents, en appelons, en tant que représentants ordinaires de notre pays, au Sénat et au peuple de France.
Jamais auparavant des citoyens azerbaïdjanais ordinaires, qui ne représentent pas la position officielle des autorités, n’avaient fait appel collectivement aux instances parlementaires et au peuple français. Nous y avons été incités par la présentation le 3 octobre 2022 par six membres du Sénat d’une proposition de résolution dont l’examen est prévu le 15 novembre. Ce document contient des accusations contre notre pays, et donc aussi contre nous, ainsi qu’un appel au gouvernement français et aux autres pays de l’UE pour imposer un “embargo sur les importations de gaz et de pétrole d’Azerbaïdjan”.
La proposition de résolution représente une vision absolument unilatérale et biaisée du conflit arméno-azerbaïdjanais. Les auteurs défendent les intérêts d’une seule partie, celle des Arméniens, au conflit. Ils ignorent complètement les sacrifices, les sentiments de douleur et de perte d’êtres chers, les aspirations de l’autre partie, soit des millions d’Azerbaïdjanais ordinaires. Et c’est à nous seuls qu’on attribue le rôle de coupable.
Une telle préférence pour une nation, mais la discrimination et la condamnation aveugle d’une autre est une manifestation publique d’intolérance ethnique et de racisme !
Voici seulement trois exemples :
- Le paragraphe 21 de la proposition de résolution du Sénat accuse l’Azerbaïdjan de commettre des “crimes de masse”. Il demande également une enquête sur l’affaire devant la Cour pénale internationale. En octobre 2020, les forces armées arméniennes ont tiré cinq fois des missiles sur l’une de nos plus grandes villes, Gandja. Cet automne-là, plus de 80 localités d’Azerbaïdjan ont été bombardées. Ainsi, il y a deux ans, nous avons été victimes d’une agression, tout comme l’Ukraine, qui nous tient à cœur, vit aujourd’hui cette horreur. A cette époque, 454 personnes ont été blessées, dont 50 enfants. Le nombre de personnes tuées a atteint 93, dont 27 femmes et 12 enfants. Pensez-y, s’il vous plaît ! Ce ne sont pas que des chiffres. Ce sont de petits enfants déchiquetés ou tués sous les décombres d’immeubles effondrés. Par exemple, Naryn Khalygova n’avait que 10 mois ; Madina Chakhnazarli avait un an; Maryam Khalilli n’avait que six ans. Toutes ont été tuées lors du bombardement de Gandja. Ces noms sont maintenant gravés dans notre mémoire ! Mais l’Europe civilisée a choisi de ne pas remarquer les cadavres de ces enfants. Au cours des deux dernières années, pas un seul membre du Sénat français n’a prononcé une condamnation ou bien un appel à enquêter et à punir les responsables de ce crime de masse ! Les enfants azerbaïdjanais, massacrés et mutilés la nuit dans leurs berceaux, ne méritent-ils pas l’attention des membres du Sénat ?!
- Le paragraphe 20 de la proposition de résolution du Sénat stipule que l’Azerbaïdjan doit garantir le droit au retour des populations déplacées (arméniennes). Selon la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies du 23 mars 1994, plus de 1.000.000 Azerbaïdjanais ont été expulsés de leurs maisons à la suite des attaques des groupes armés arméniens ! Ils ont notamment été expulsés des régions reconnues par la communauté internationale comme le territoire souverain de l’Azerbaïdjan. La résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies note que “les réfugiés et les personnes déplacées sont dans une situation précaire, menacés de malnutrition et de maladie”. Le document cité contient un appel à tous les États pour qu’ils apportent un soutien efficace “aux réfugiés et aux personnes déplacées d’Azerbaïdjan”. Mais en 30 ans, le Sénat français n’a jamais examiné une résolution réclamant le droit au retour de ces personnes. Les réfugiés azerbaïdjanais sont-ils vraiment privés de ce droit, contrairement au nombre bien moindre d’Arméniens qui ont quitté le Karabakh ?
- Le même paragraphe 20 de la proposition de résolution du Sénat déclare que l’Azerbaïdjan doit assurer “la préservation du patrimoine culturel et religieux arménien”. Cependant, le Sénat n’a jamais fait de telles déclarations sur l’obligation de la partie arménienne de préserver le patrimoine culturel et religieux azerbaïdjanais dans les territoires souverains de l’Azerbaïdjan, qui ont été occupés pendant 30 ans. Les responsables de notre pays ont toutefois interpellé la communauté internationale à ce sujet. Le 15 mai 1992, des extraits de l’appel du ministre de la culture d’Azerbaïdjan à ses collègues européens, au directeur général de l’UNESCO et au secrétaire général du Conseil international des musées, ont été publiés dans les journaux de Bakou. La lettre notait que la guerre “est menée contre la population désarmée, contre les enfants sans défense, ainsi que contre les monuments sans protection de notre culture… Nous vous demandons d’user de votre autorité, d’influencer les gouvernements, les parlements de vos pays, de faire tout votre possible pour arrêter l’effusion de sang et le vandalisme. Cependant, sur cette question aussi, le Sénat a gardé un silence assourdissant pendant 30 ans. Pendant ce temps, selon l’Académie nationale des sciences d’Azerbaïdjan, 215 monuments historiques et culturels ont été endommagés rien que dans la ville de Choucha; en ce qui concerne tous les territoires occupés, il n’y avait que 4 mosquées sur 67 qui ont partiellement survécu. Selon les membres du Sénat, l’histoire, la culture et la religion azerbaïdjanaises ont-elles moins de valeur que celles d’autre peuple du Caucase ?
Quelle est la raison de cette discrimination flagrante ? Il est bien connu que la France abrite l’une des plus importantes diasporas arméniennes au monde. La grande majorité de ces citoyens français, qui ont un poids électoral considérable, n’ont jamais été en Arménie. Beaucoup d’entre eux perçoivent ce qui se passe dans le Caucase du Sud à partir des informations diffusées par les médias qui reflètent la position de la partie à prédominance arménienne du conflit. En même temps, le sentiment de sacrifice et le désir de vengeance face aux événements d’il y a plus de cent ans sont cultivés chez les Français d’origine arménienne depuis l’enfance. Certains hommes politiques tentent de tirer parti de ces sentiments à des fins personnelles. C’est ainsi que de telles propositions de résolutions du Sénat apparaissent.
Et cela se produit lorsqu’un véritable processus de négociation est lancé pour la première fois, grâce en grande partie aux efforts de l’Union européenne. Cependant, au lieu d’encourager les parties au rapprochement mutuel pour parvenir à la paix, les auteurs de la proposition de résolution du Sénat invitent l’État à renforcer les capacités de défense de l’Arménie, c’est-à-dire à la doter d’armes françaises modernes. Pourtant, la responsabilité de la poursuite du conflit incombe uniquement à l’Azerbaïdjan. Ainsi, la vision raciste du monde et les ambitions personnelles des certains hommes politiques, ainsi que les vieux griefs de certains Français d’origine arménienne créent les conditions préalables à une future escalade dans le Caucase du Sud.
Les membres du Sénat et le peuple français doivent également tenir compte du fait que la volonté de “sanctionner” l'Azerbaïdjan, en cas d’embargo sur les importations de gaz et de pétrole vers les pays de l’UE, causera de nouveaux malheurs et de nouvelles misères pour les citoyens Azerbaïdjanais ordinaires. En 2021, près de la moitié des recettes budgétaires de notre État provenaient des exportations d’énergie. Cet argent couvrait les besoins des réfugiés, le coût de l’éducation, finançait des projets de logements sociaux. Voulez-vous vraiment sanctionner les étudiants pauvres ou, peut-être, les personnes âgées qui ont perdu tous leurs biens et leurs logements il y a 30 ans ? Mais dans ce cas, ce châtiment sévère ne touchera pas seulement les couches socialement faibles des Azerbaïdjanais. Elle touchera des millions d’Européens.
L’Italie, la Bulgarie, la Grèce se sont déjà réorientées en grande partie vers l’importation de ressources énergétiques azerbaïdjanaises. L’embargo proposé par les membres du Sénat signifiera pour ces pays la hausse de l’inflation encore plus importante que maintenant.
Compte tenu de tout ce qui précède, nous nous adressons au Sénat et au peuple français :
- Essayez de réaliser que le conflit arméno-azerbaïdjanais est un écheveau de contradictions, de traumatismes et de ressentiments nationaux beaucoup plus complexes que l’on cherche à vous faire croire. Il est très important que la France se débarrasse de la perception unilatérale et adopte une position plus équilibrée.
- Enfin, essayez de remarquer et de comprendre les années de douleur, les sentiments de perte et les aspirations non seulement d’une partie au conflit. Les Azerbaïdjanais n’ont pas moins de droits, ils ne méritent pas moins de compréhension et de compassion. Ce n’est qu’ainsi que la France pourra contribuer de manière optimale à la réalisation de la paix tant attendue entre ces deux peuples.
- Donnez une chance au processus de négociation ! N’aggravez pas la situation avec des accusations unilatérales et des sanctions !
- Veuillez noter que la politique de pression économique sur l’Azerbaïdjan n’apportera que de nouveaux problèmes et difficultés aux gens ordinaires. De telles menaces ne sont certainement pas propices aux efforts de paix.
#NoussommesAzerbaïdjan #ProtégeonsAzerbaïdjan
Auteurs de la pétition :
1) Ələkbərova Kubra, 52 ans - Gandja
2) Əliyeva Aynur, 29 ans - Gandja
3) Mirzəyev Vəzir, 29 ans - Lankaran
4) Əmirsultanov Əmirsultan, 42 ans - Sumgaït
5) Nəzürova Rübabə, 58 ans - Bakou
6) Əliyeva Ülfət, 29 ans - Bakou
7) Tağıyev Süleyman, 31 ans - Sabirabad
8) Rəsulova Fatimə, 23 ans - Bakou
9) Ağayeva Seyidnurə, 36 ans – Sabirabad
10) Abdullayeva Afət, 61 ans - Bakou