LETTRE OUVERTE
« Il y a toujours une limite à toute action syndicale : celle relevant des limites éthiques de son action conduisant à ne pas toucher aux intérêts vitaux d’un pays et à ceux de ses habitants. Nous condamnons avec la plus grande force le black-out déclenché vendredi matin sur toute la Guadeloupe, par quelques salariés grévistes de EDF-PEI ! »
Des faits d’une extrême gravité sont survenus ce vendredi 25 octobre 2024 vers 8h30 à la centrale électrique de Jarry qui produit près de 50% de la production totale d’électricité en Guadeloupe : une dizaine de grévistes – rappelons que dans ce conflit au sein d’EDF-PEI qui dure depuis le 16 septembre, seule une vingtaine de personnes sur 110 sont en grève – pénètrent dans le sas de contrôle des machines de la centrale et activent tous les boutons d’arrêt d’urgence de tous les moteurs alimentant le péyi-Guadeloupe en électricité. Ainsi, c’est le système tout entier de production d’électricité qui est mis ipso facto hors de fonctionnement. Nous apprenons qu’en pareil cas, le retour à l’équilibre est long et techniquement difficile à opérer. Cette difficulté s’est trouvée accrue parce que les grévistes ont aussi mis à l’arrêt l’un des deux systèmes « black-start » permettant le redémarrage de l'ensemble des moteurs.
La Guadeloupe toute entière s’est trouvée privée d’électricité, de nombreux foyers ont été coupés près de 24 heures, et plus 48 heures après cet incident, la situation n’est toujours pas revenue à la normale et demeure pour le moins précaire. Pire, EDF s’est trouvée dans l’impossibilité de prendre en charge même les sites prioritaires qui ont un intérêt vital pour le pays et ses habitants.
Cette vingtaine de grévistes (qui ne sont pas dans la précarité et qui bénéficient pour la plupart de confortables rémunérations), ont décidé de ne reculer devant rien pour faire entendre, pensent-ils, la légitimité de leur combat. Y compris l’acte irréparable et d’une gravité extrême, qui a consisté à provoquer volontairement le « black-out » avec toutes ses conséquences potentiellement gravissimes : mise en danger de la vie d’autrui, fortes perturbations sur le réseau de distribution d’eau et sur celui des communications, arrêt quasi-total de la vie économique sur l’archipel, troubles potentiellement graves à l’ordre public, difficultés éprouvées dans toutes les familles pour gérer cette intenable situation, sans compter les pertes financières pour tous, aussi bien les entreprises que les foyers guadeloupéens : pertes des appareils électro-ménagers et des denrées alimentaires ressenties singulièrement par les plus démunis, ainsi que les stocks surgelés de nombreuses petites entreprises ne disposant pas de groupes électrogènes !
Que les protocoles salariaux soient appliqués, c’est le moins que l’on doive attendre d’un employeur. Qu’il faille aussi fondamentalement soutenir le principe du droit de grève, droit constitutionnellement garanti, bien évidemment ! Que les fiches de paye soient conformes à la réalité du travail fourni, quoi de plus normal ! On peut même concéder que la logique du pourrissement est trop souvent la tentation coupable de certains patrons et décideurs. Que le temps mis pour régler ces deux points soient anormalement long, on peut le comprendre.
Mais, nous pouvons aussi légitimement nous interroger sur la politique de la terre brûlée mise en œuvre par les leaders de ce mouvement très impopulaire, quand nous apprenons qu’un protocole d’accord était sur le point d’être signé entre René le Goff, directeur général adjoint d’EDF ayant fait le déplacement, et les grévistes. Et que celui-ci a capoté au dernier instant, au prétexte que les jours de congés des salariés devaient être calculés en heures et non en jours ! Pourtant, tous les salariés d’EDF bénéficient de conventions collectives plus avantageuses que ce que prévoit le code du travail.
Tout cela justifie-t-il le black-out et le probable sabotage des moyens techniques prévus pour un retour à un état normal ? Non ! Mille fois non !
Car en étant potentiellement criminel, ce geste constitue une bascule dans l’horreur et dans l’inacceptable. Tous les risques s’y trouvent et évidemment celui de perte en vies humaines. Certains lieux et services publics fondamentaux, comme le CHU et autres services de secours, ne peuvent être privés d’électricité et fonctionner sur des groupes électrogènes au-delà de plus de 72 heures. Ce syndicalisme est parvenu à un tel degré de radicalité que leurs leaders semblent désormais aveugles aux conséquences gravissimes de leurs actes !
Or, « un homme, ça s’empêche ! » (Albert Camus).
Les principes de l’action syndicale naguère reposaient sur deux piliers : être dans son bon droit tout en se fixant des limites dans la radicalité de son action. Cela permettait de sortir d’une grève en élisant la responsabilité au sommet de son action. Ces principes donnaient à l’action syndicale sa consistance, sa portée, son efficacité et fournissaient au plus grand nombre les raisons sérieuses d’une adhésion bien comprise.
Un certain syndicalisme a perdu toute dimension éthique, en oubliant ces principes et en sacrifiant l’intérêt général sur l’autel des intérêts égoïstes de quelques-uns.
En sortir, en renouant avec l’esprit de dialogue, de tempérance, de l’intérêt général et du principe de responsabilité, voilà la grande reconstruction à laquelle les mouvements sociaux sont désormais appelés en Guadeloupe.
Guadeloupe, le 27 octobre 2024.
Les premiers signataires :
Tony ALBINA, enseignant, Marie-Claude BUFFON, enseignante, Mirette CALME, cadre hospitalier, Elyzabeth CHOMEREAU-LAMOTTE, enseignante retraitée, Michel CORBIN, architecte, David DAHOMAY, cadre administratif, Jacky DAHOMAY, philosophe, Bernard DENDELE LECLAIRE, romancier, Sonia DERIAU-REINE, enseignante retraitée, Vincent DERUSSY, professionnel du bâtiment, Claire FACORAT-N’SONDE, personnel de direction à l’Education nationale, Alex FALEME, médecin retraité, Tania FOUCAN, médecin, Greg GERMAIN, acteur, Béatrice IBENE, vétérinaire, Bruno JOFA, architecte et musicien, Christian JOLIVIERE, directeur hospitalier, Eva JURAVER, consultante, Jean-Yves LETANG, retraité, Guy LUBETH, enseignant retraité, Viviane MELYON-DEFRANCE, médecin, Georges MERAULT, ancien universitaire, Danielle MINATCHY, météorologue, Errol NUISSIER, psychologue, Thierry OTTO, cadre dans le domaine de la formation, Jacques PAUL, enseignant, Bernard PHIPPS, universitaire retraité, Pascale POIRVILLE, enseignante, Patrick PORTECOP, médecin, Emmanuel RAVI, directeur d’établissement hospitalier, Michel REINETTE, journaliste, Pierre REINETTE, ancien haut fonctionnaire, Christian SAAD, universitaire, Philippe SADIKALAY, enseignant et musicien, Corinne SAINTE-LUCE, médecin, Willy SALZEDO, musicien, Richard SAMUEL, préfet honoraire, Dominique VELLEYEN, fonctionnaire territoriale, Georges VILA, enseignant retraité.
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