Elle monte, elle monte, la marée abstentionniste ! Elle vient de battre un nouveau record au premier tour des élections législatives : hier, 12 juin, plus de 52% des électeurs ont jugé qu’ils avaient mieux à faire que d’aller voter - dont 69% des 18-24 ans et 71% des 25-34 ans ! Pourquoi plus d’un électeur sur deux ne s’est-il pas dérangé ? Effet de la météo ? De la Covid ? De l’impression que le vrai pouvoir est dans les instances européennes, elles-mêmes soumises à des puissances mondiales ? Est-ce l’effet d’un désarroi résigné ou tout simplement d’un « je-m’en-foutisme », d’une « aquabonite » (plus académiquement, une acédie) résultant d’un individualisme galopant ? Un peu de tout ça, sans doute. Plus que d’autres pays occidentaux, la France est confrontée à un désintérêt croissant pour un système électoral à bout de souffle…
Jamais dans toute l’histoire de la Ve République un parti présidentiel n’a obtenu un score aussi faible, constate Guillaume Tabard, du Figaro. Et le grand « vainqueur » de ce premier tour… au coude à coude avec le parti de la majorité présidentielle Ensemble, donc avec un score en réalité aussi faible, est la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), la coalition de gauche forgée par Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci n’a pas fait mystère de sa tactique : « J’avais deux lignes devant moi : soit dire : “J’ai fait 22 % [au premier tour de la présidentielle], allez vous faire voir, je continue”, soit discuter. Nous avons considéré que le but n’était pas d’entretenir la rivalité à gauche mais de constituer un bloc qui peut emmener la société. » Force est de constater que le leader de La France Insoumise (FI), qui était en troisième position derrière le Rassemblement national (RN) au premier tour de la présidentielle, a réussi son pari de réaliser un « troisième tour », en coalisant la gauche (FI, Vert, PS, PC…). Ce stratagème a permis par exemple à Olivier Faure, l’obscur premier secrétaire du PS, parti en ruine, d’obtenir hier sous l’égide de la Nupes, 46,9% des voix, près de 25 points devant son adversaire d’Ensemble, Charlyne Péculier (encore plus obscure, il est vrai). Troisième « bloc » issu de ces élections chétives, le RN progresse par rapport à 2017, et a de bonnes chances d’obtenir un groupe à l’Assemblée, loin toutefois de son poids réel dans le pays à cause du scrutin majoritaire. Mais qu’en fera-t-il ? Le RN va-t-il s’allier avec la Nupes sur des questions économiques ou sociales pour contrer la (probable) majorité présidentielle ?
La logique du scrutin majoritaire et le manque de réserves de la Nupes au second tour devraient en effet permettre au cartel présidentiel de conserver une majorité, même relative, à l’Assemblée nationale. Mais l’inconfort de la situation affectera le second mandat de Macron : sans être contraint à la cohabitation avec Mélenchon, il devra trouver des appuis auprès du MoDem de François Bayrou, du parti Horizons de son ancien Premier ministre Edouard Philippe, voire auprès des Républicains dont la défaite au premier tour n’est pas une déroute totale (11,4% des suffrages, en quatrième position derrière Ensemble, la Nupes, et le RN). Cela devrait ranimer un peu la vie parlementaire en hibernation sous le règne de Macron 1. Mais cette perspective n’occulte pas la question politique majeure que pose l’absence d’engagement du président de la République : « Jamais durant ces campagnes il n’a su ni fixer un horizon enthousiasmant, ni préciser ce qu’il voulait faire » souligne Guillaume Tabard. En godillant un peu à droite, puis beaucoup à gauche, Emmanuel Macron a en réalité favorisé l’entreprise de Mélenchon.
Cette remarque nous ramène à la désertion des urnes. Le vide programmatique et la résignation nourrissent l’abstention. Pour le sociologue et chroniqueur d’Europe 1 Mathieu Bock-Côté (sa chronique en lien ci-dessous), « les partis qui assuraient la formation politique de l’opinion sont désormais des structures d’apparatchiks sans convictions (…). Le système politique se referme de plus en plus sur lui-même. Il n’est plus connecté aux aspirations populaires et conduira tôt ou tard à une crise de régime déjà commencée. » A l’approche de ce premier tour des élections législatives, explique-t-il encore, un véritable conditionnement de l’opinion publique a fait le lit de l’abstention en imposant l’idée que l’enjeu principal voire exclusif était le pouvoir d’achat et l’avenir des retraites. Une façon efficace de mettre sous le boisseau les questions régaliennes (l’identité de la France, l’immigration, l’insécurité) qui dérangent à des degrés divers les partis politiques de gauche, du centre et de droite, à l’exception notable du tout jeune parti Reconquête d’Éric Zemmour. Lequel a payé cher son isolement, son inexpérience, ses gaffes… et le refus obstiné d’une alliance de la part du RN.
Vous êtes sûr ? Votre mobilisation est importante pour que les pétitions atteignent la victoire !
Sachez que vous pouvez vous désinscrire dès que vous le souhaitez.