Les témoignages que j'ai reçus sont particulièrement préoccupants et inhumains. C'est pour cette raison que je continue mon combat pour qu'aucune autre famille ne se retrouve avec le même problème que le mien.
Selon l'article de Médiapart :
L’opinion publique est de plus en plus sensible aux conditions de vie dans les Ehpad. Des scandales ont mis en évidence que le profit à tout crin engendre des actes de maltraitance institutionnelle envers les pensionnaires. Mais une gestion calamiteuse (rentabilité et management irrespectueux) affecte également des établissements publics. Description d’une situation préoccupante en Occitanie.
La préoccupation de l’opinion publique envers les Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) date surtout du Covid, en 2020 : de nombreux pensionnaires sont morts du Covid lors de la pandémie, pour différentes raisons (état de santé déjà fragile des pensionnaires, impréparation à une crise sanitaire, manque ou absence de protections, protocoles aberrants). Deux ans plus tard, sortait le livre-enquête de Victor Castanet, Les Fossoyeurs, qui décortiquait de manière magistrale la façon dont un capitalisme carnassier avait instauré un système maltraitant pour nos aînés. Révélations rendues possibles grâce à des témoins ayant accepté de parler et à un journaliste appliquant une méthode d’investigation remarquable, ouvrage complété en 2023 par une réédition en poche augmentée de dix chapitres (dans lesquels l’auteur décrit les manœuvres dont il a été l’objet pour l’empêcher de publier).
On se souvient que Richard Ferrand, dont la trajectoire n’est pourtant pas un modèle en matière de morale politique (affaire des Mutuelles de Bretagne), avait déclaré, lorsque le scandale Orpéa a éclaté, que "les établissements qui accueillent des personnes âgées dépendantes ne devraient pas être à but lucratif". C’était une remarque judicieuse : il est vrai que la gestion publique n’a pas les mêmes impératifs de profits, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de “maltraitance institutionnelle” dans les Ehpad relevant de l’associatif ou du secteur public, du fait de contraintes budgétaires et/ou de management abusif. C’est ce que nous allons voir dans un établissement public de santé, regroupant trois Ehpad, en Occitanie (dans le Gers).
Résumé :
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Ville de Lectoure
Dans le département du Gers, trois Ehpad à Lectoure et Fleurance (3700 et 6000 hab.) ont été regroupés dans une seule structure, l’Etablissement public de santé de Lomagne (EPSL, avec 300 agents pour 400 lits, environ). Après une période difficile où la direction dut être assurée par le directeur de l’hôpital général de Condom et où il fut procédé à une inspection générale par l’Agence Régionale de Santé (ARS) d’Occitanie qui releva 88 manquements, une directrice est arrivée en février 2024. A ce moment, l’espoir de voir se résoudre un certain nombre de problèmes à l’EPSL domine, bien vite douché par les décisions prises et le comportement de cette directrice. L’information parvenue selon laquelle elle a été fortement contestée par le personnel dans son poste précédent, au Foyer de l’enfance de Nice (un article de la rédaction de Mediapart, en juin 2022, en atteste) aggrave les inquiétudes. Le personnel, soutenu par la CGT santé sociaux du Gers, et les familles contestent des méthodes managériales discutables et une gestion de la vie quotidienne des personnes âgées non conforme à ce que l’on est en droit d’attendre pour ses parents dépendants. Les témoignages parus dans la presse locale et ceux que j’ai recueillis sont particulièrement préoccupants : il est question de mal-être des agents et de mise en danger des résidents, de résidents ayant faim en sortant de table, de “maltraitance institutionnelle”, jusqu’à une lettre de soignants qui se considèrent “lanceurs d’alerte” et qui disent être certains que la dégradation des conditions de travail et donc du service rendu aux personnes âgées est telle que, selon eux, “il y aura des morts”. Des mesures brutales sont prises comme obtenir des résidents qu’ils versent un complément de dépôt de garantie, rétroactivement, malgré l’avis contraire du Trésor Public. Une prime versée dans le passé indument à des agents est retenue sur salaire sans respect des règles en la matière.
Cette situation de restrictions budgétaires drastiques n’est pas isolée : on voit tant de conflits dans les hôpitaux, avec suppressions de lits, fermetures de services, toutes mesures compliquant considérablement le travail des soignants et la vie des patients. Lorsqu'il se rajoute une façon de manager en dépit du bon sens, alors c’est la totale : pour le personnel et pour les personnes accueillies. Alors le service public, malmené, n’est plus assuré. Les politiques (mairies, Département, députés, sénateurs) ne peuvent rester dans la coulisse, uniquement tétanisés par la crainte qu’un établissement n’ait plus de direction. A partir du moment où les familles expriment leur crainte et les personnels leur exaspération, il n’est pas concevable de se réfugier dans l’impuissance.
Etat des lieux
Le département du Gers a une spécificité : longtemps, huit hôpitaux publics étaient répartis sur son territoire (sans compter trois cliniques privées). En tenant compte du nombre d’habitants, ce chiffre était, en moyenne, le double de ce qui existait ailleurs en France. Les différentes lois et directives visant à concentrer l’hospitalier et à réduire la voilure, le panorama a changé : il ne subsiste plus que deux hôpitaux généraux (Auch et Condom) et un centre hospitalier spécialisé (psy), les autres structures étant devenues des Etablissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (Ehpad), avec parfois regroupement comme c’est le cas de l’Etablissement Public de Santé de Lomagne (EPSL). Quant aux cliniques privées, elles ont toutes disparu, la rentabilité du privé n’étant plus démontrée dans ce département rural relativement peu peuplé (180 000 habitants) : voir Clinique privée : chronique d’une mort annoncée.
L’EPSL de Lomagne regroupe les hôpitaux de Fleurance et de Lectoure, suite à une fusion opérée le 1er janvier 2010, soit 300 salariés (dont une moitié contractuels) et 400 lits répartis sur ces deux villes, avec deux services de médecine, deux services de soins de suite et de réadaptation (SSR), un service de Soins infirmiers à domicile (SIAD) sur chaque site, un accueil de jour Alzheimer à Fleurance et trois Ehpad (Cadéot et La Pépinière à Fleurance, et Le Tané à Lectoure). C’est en mars 2009 que la municipalité de Fleurance s’est lancée dans la construction d’un Ehpad, La Pépinière, sous gestion du Centre communal d’action sociale (CCAS) alors même qu’il existait déjà un Ehpad au sein de l’hôpital : cette nouvelle structure comportait 60 lits, pour un coût de 7 millions d’euros (financé à 90 % par un emprunt). Inauguré fin 2010, cet établissement a été bien vite intégré dans l’EPSL, sous la pression d’élus qui mesuraient finalement la difficulté pour un CCAS d’assumer un tel engagement financier, lui refilant ainsi sa dette.
Plusieurs directeurs se succédèrent à la tête de l’EPSL, jusqu’à un intérim assuré par le directeur de l’hôpital général de Condom. Si ce dernier a posé des actes nécessaires et a fait preuve d’humanité, des salariés ont contesté la responsable cadre supérieure de santé qui assurait l’encadrement des trois Ehpad : dans La Dépêche du 22 juin 2023, Christophe Bukovec, secrétaire général départemental de la CGT santé et action sociale du Gers, dénonce “un climat toxique, basé sur l’agressivité, des insultes ou des punitions, avec des agents convoqués sans motifs et sans pouvoir se défendre”. Il s’étonne que l’Ehpad de Lectoure ait fermé 30 lits sur 80 pendant plusieurs mois.
Le maire de Fleurance, Ronny Guardia Mazzoleni (radical de gauche), est saisi par la CGT et FO, ainsi que David Taupiac, député Liot. C’est ce qui conduit l’Agence régionale de santé (ARS) d’Occitanie à missionner une inspection, durant quatre jours en juillet 2023 : 10 inspecteurs de l’ARS et de la Haute Autorité de Santé, et 3 cadres du Conseil Départemental du Gers débarquent dans les Ehpad. Ils listent 88 manquements dans le fonctionnement de l’EPSL et confirment un déficit important. J’ai consulté ce document (qui n’a pas été communiqué aux familles). Il relève de très nombreux “écarts” : le Conseil de vie sociale (CVS) n’est pas réuni, l’extrait n°3 du casier judiciaire n’est pas exigé (or obligatoire pour travailler auprès de personnes vulnérables), des ASH font fonction d’aides-soignants, l’hygiène est mal assurée, les incidents ne sont pas signalés aux autorités départementales, contrairement à la loi, la pratique religieuse (catholique) est ostentatoire, divers protocoles (de soins, de contention) ne sont pas respectés, effectifs souvent insuffisants.
La CGT, présente dans l’établissement, relève les problèmes récurrents ce qui vaut à sa déléguée syndicale d’être changée de poste pour une raison fallacieuse. Christophe Bukovec dénonce alors dans La Dépêche du 17 janvier 2024 le fait que “la situation managériale ne s’est pas arrangée depuis les contrôles de l’ARS”, considérant la déléguée comme une “lanceuse d’alerte” injustement sanctionnée : c’est ce qui déclenchera un conflit social mené par la CGT (santé et action sociale).
Arrivée d’une nouvelle direction
Le mois suivant, une nouvelle directrice arrive. On l’aura compris : il y avait du pain sur la planche ! En mars, La Dépêche se fait l’écho dans le détail des reproches portés par un agent en CDD, non diplômé, à l’encontre d’une cadre de santé, ayant cette qualification depuis 24 ans, arrivée du CHU de Toulouse l’année précédente. Les explications de cette cadre de santé ne seront pas entendues, selon elle, ni par la cadre supérieure de santé (sa supérieure hiérarchique, mise en cause antérieurement, voir plus haut), ni par la nouvelle directrice, ni par La Dépêche qui n’a pas recueilli son point de vue. Très affectée par cet abandon de sa hiérarchie, estimant être injustement accusée, elle a déposé une main courante à la gendarmerie et est en arrêt maladie (syndrome anxio-dépressif).
A la suite de quoi, le quotidien régional interviewe la nouvelle directrice, Hélène Colombié, qui se présente comme spécialiste des situations compliquées. Selon elle, dans ce troisième établissement qu’elle prend en main, “rien n’est organisé, c’est un château de cartes et tout est à faire” (La Dépêche du 25 mars 2024). Elle invoque un déficit de 3,5 millions d’euros, se prononce pour “une organisation très structurée, une architecture qui puisse s’appuyer sur des fonctions supports, des protocoles, une logistique, des ressources humaines”. Elle parle de “potentiel”, de “leviers”, d’”horlogerie de précision”, de “gouvernance” puis complète ces propos lénifiants en annonçant qu’elle va instaurer du changement dans les méthodes de travail et éradiquer certaines pratiques : tout ce qu’elle constatera “d’irrégulier devra reprendre le chemin de la règle de droit”.
Très bien, sauf que très vite les agents constatent que le management pose problème : la CGT, à la mi-juin, dans un courrier à Didier-Pier Florentin, directeur de la délégation départementale de l’ARS (Gers), constate “une situation catastrophique, tant sur le plan de la gouvernance que sur les organisations de travail”. Christophe Bukovec l’informe qu’il est “interpellé par des agents en grande souffrance physique voire psychologique”. L’absentéisme est exponentiel, les démissions nombreuses. Il redoute que la directrice ait une feuille de route qui ait pour effet mal-être des agents et mise en danger des résidents. Il sollicite une rencontre avec Xavier Balenghien, maire de Lectoure, qui reçoit une délégation le 20 juin (l’élu confie qu’il a lui-même des éléments d’inquiétude sur ce qui se passe à l’EPSL). Puis le responsable CGT demande une entrevue d’urgence avec le directeur de l’ARS, qui accepte de le recevoir, avec des représentants du personnels, des agents et des familles. M. Florentin n’est pas surpris : il avait déjà recueilli auprès de familles et d’agents des témoignages qui le préoccupaient. Bien que la directrice générale ait prétendu dans une lettre au personnel que la CGT manipulait les familles, il était clair que ces dernières s’exprimaient en toute indépendance, chacun ayant sa place dans ce moment où un représentant de l’Etat recueille l’avis de parties en présence qui contestent le fonctionnement de l’établissement de santé. Enfin, le 7 août, le député Liot, déjà informé de la situation via son réseau, fixe rendez-vous aux familles, à des agents et au syndicat CGT.
“Gestion autoritaire, violente”
Comme rien ne se passe, la CGT organise une conférence de presse le 13 août et accuse la nouvelle direction d’exercer “une gestion autoritaire, violente”. Ce qui a fait déborder le vase est l’exigence de rembourser une prime versée antérieurement indument aux agents contractuels, selon la direction qui, pourtant, s’était engagée à ne pas revenir sur ce qui était acquis, cette prime étant censée inciter les personnels à rester en poste. La suppression rétroactive de cette prime (sur deux ans, ce qui implique son remboursement) s’applique, brutalement, sans concertation, à l’encontre des démissionnaires (1). Sans respect pour la législation sur les retenues de salaires, des bulletins de paie se sont retrouvés réduits à la portion congrue (52,23 € pour l’une) et même carrément négatifs : - 336,91 € ! FO considère que cette exigence sur la prime est justifiée, d’autant plus que la directrice proposerait à des contractuels de devenir titulaires pour pouvoir percevoir cette prime conformément aux textes. FO, qui avait parlé l’année précédente de “Titanic en perdition” à propos de l’EPSL, considère qu’il faut laisser du temps à la directrice pour réorganiser les choses. A noter que lorsqu’Hélène Colombié était directrice de l’hôpital de Puget-Theniers, elle a supprimé une prime de fin d’année qu’elle n’accordait désormais qu’aux agents qu’elle jugeait méritants : une employée, en poste depuis dix ans dans cet établissement, “fatiguée d’être toujours de bonne volonté”, s’est alors lancée, pour réclamer son dû, dans une grève de la faim qui a défrayé la chronique (Nice matin du 1er juin 2018).
De leur côté, les familles des pensionnaires se plaignent des économies faites au détriment de la qualité du service rendu : manque de personnel, fin des animations, repas insatisfaisants et arrêt de l’aumônerie. De ce fait, la CGT demande au conseil de surveillance et aux élus locaux d’organiser une table ronde en septembre pour mettre le dossier à plat. Hélène Colombié reproche à la CGT de vouloir envenimer les choses alors que les autres syndicats, selon elle, l’approuvent (un article de La Dépêche semble abonder dans ce sens en titrant : “la CGT tente d’allumer la mèche de la contestation”). Elle met par ailleurs publiquement en cause la gestion de ses prédécesseurs et se réjouit de voir l’activité augmenter.
Familles en colère
C'est alors que les familles montent publiquement au créneau pour appuyer les dires des salariés, qui avec la CGT, dénoncent la dégradation de la situation. Fin août, un nouvel article de La Dépêche évoque un “mal-être généralisé”, “des familles en colère” et liste les griefs invoqués par les familles sur les repas, le ménage, les animations, le manque de présence auprès des personnes âgées. Il est carrément question de “maltraitance institutionnelle” et de manque de communication de la part de la direction, le Conseil de vie sociale (CVS) n’est jamais réuni, alors qu’il est obligatoire dans ce type d’établissement (une fois par trimestre). Le journal régional a été contacté aussi par plusieurs salariés. L’un, infirmier, confie : “cela fait des années que je travaille au sein de l’EPSL, je n’ai jamais vu une telle dégradation des conditions de travail”. Cette précision est donnée : “à l’Ehpad de la Pépinière par exemple, sur les 30 derniers jours, il n’y a eu que 7 jours de présence infirmière, quand elle doit être quotidienne. Les démissions se succèdent ces derniers mois, c’est du jamais (vu)”. Seize soignants (infirmiers, aides-soignantes, cadres, secrétaires médicales, informaticiens, agent de blanchisserie, agents de service technique), qui se considèrent “lanceurs d’alerte”, ont adressé à La Dépêche une lettre dans laquelle ils et elles écrivent noir sur blanc : “Il va y avoir des morts, ce n’est pas une crainte, c’est une certitude”.
Le 9 septembre, une représentante des familles s’adresse directement à la CFDT et à FO qui voulaient laisser du temps à la direction pour rétablir les comptes et s’offusque de cette façon de “banaliser la situation de nos ainés”. Parmi les griefs qui sont rappelés dans ce courrier, il est dit clairement que des résidents ont faim en sortant de table, que les régimes alimentaires ont disparu, que le ménage dans les chambres n’est pas fait chaque jour, que des résidents ne sont pas levés faute de personnel, que la douche hebdomadaire a été parfois annulée, que l’animation à Cadéot a été amputée, qu’il y a un service dégradé obligeant du personnel à revenir sur ses jours de congé, qu’il manque des infirmières. Les veilleuses de nuit sont en sous-effectif, les protections manquent et ne sont pas changées comme il le faudrait. Des questions posées à la direction (sur des cas de Covid en juin 2024) restent sans réponse. Aucune étude n’a été faite, d’ailleurs, sur la propagation du Covid au sein des différents Ehpad.
“Actions positives systématiquement dénigrées”
La directrice réagit à tous ces griefs par un communiqué transmis à La Dépêche et au Petit journal (du Gers), dans lequel, visant manifestement la CGT, elle dit déplorer que les actions positives qu’elle mène soient “systématiquement dénigrées par une minorité qui semble avoir pour seul objectif d’inquiéter les familles et de créer une atmosphère de tension injustifiée”. Elle affirme que “ces tentatives de salir le travail accompli ne reflètent en rien le sentiment majoritaire au sein des équipes de l’hôpital”. Elle s’engage à réunir le Conseil de vie sociale prochainement. Elle invoque un déficit 2023 à hauteur de 2,7 millions d’euros, elle doit retrouver l’équilibre mais cela n’affecte en rien les prestations auprès des pensionnaires. Ici, il importe de noter que le chiffre du déficit a souvent varié. Il était annoncé à 6 M€, puis à 3,5 M€ il y a quelques mois. On sait que l’ARS a dit avoir versé 2 M€ : en subvention ou en compensation des primes Ségur qui n’avaient pas été abondées ? Ni le personnel et ni les familles ne le savent.
Reprocher à un syndicat de vouloir dénigrer le management pour inquiéter les familles et faire régner un climat de tension, juste comme ça pour le plaisir, est une accusation grave, voire diffamatoire. Au sein du conseil de surveillance, la directrice et le directeur local de l’ARS ont de façon indigne mis en cause la CGT ainsi que des agents qui ne sont plus en poste, sans que les élus politiques présents ne s’insurgent.
Rencontre avec les familles et des personnels
En accord avec la CGT santé et action sociale du Gers, sous la houlette de son secrétaire général, Christophe Bukovec, j’ai rencontré plusieurs familles et agents de l’EPSL. En réalité, en février dernier, la CGT n’ignorait pas que la nouvelle directrice avait sévi à Nice dans un Foyer de l’Enfance où son management a alors été si décrié qu’un article de Mediapart en a rendu compte (Violences, noyade, tentative de suicide : à Nice, la descente aux enfers du Foyer de l’enfance, sous la plume d’Hélène Constanty, le 8 juin 2022).
Mais face aux problèmes récurrents qui se posaient dans cet établissement du Gers, on m’explique qu’il existait un véritable espoir dans une nouvelle direction qui s’attèlerait à assainir la situation. Or Christophe Bukovec, au cours des deux premiers mois, a reçu une quarantaine d’appels téléphoniques d’agents qui se plaignaient de la directrice appliquant avec brutalité des mesures nouvelles. Non seulement l’ARS a été aussitôt informée par lui-même mais aussi par les familles qui se voyaient réclamer rétroactivement un complément de dépôt de garantie (qui passe à 2000 euros au 1er janvier 2024 y compris pour les dépôts antérieurs à cette date, sachant qu’il était fixé à 1400 € en 2015). Le directeur de l’ARS dit clairement aux familles : “ne payez pas”. Relevant l’illégalité de cette rétroactivité, le Trésor Public fait de même, finissant par ne plus procéder au recouvrement de cette somme. Sauf que l’EPSL a continué à exiger cette caution, justifiant cette mesure par le fait de “créances non recouvrées” (certaines familles ne l’auraient jamais versée). Les familles, qui, sous contrainte, ont fini par verser cette rallonge, sont en droit d’en exiger le remboursement.
Les familles vivent mal la façon dont elles sont traitées y compris par l’ARS, car pendant la crise du Covid il a fallu se débrouiller, ici comme ailleurs : rien n’a été fait pour les masques (il a fallu aller les chercher sur le tarmac de l’aéroport de Blagnac) et une circulaire de l’ARS était inapplicable (elle comportait 68 pages).
Constat est fait d’une double faillite de la surveillance et du contrôle du Département, souvent absent non seulement du Conseil de vie sociale mais aussi et surtout du Conseil de surveillance, même lorsqu’il s’agit de voter l’augmentation du prix de journée (y compris la dernière fort importante), sachant que la pension (hors APA) s’élève à 2485 €. Lors de rencontres, le plus souvent, les représentants du Département avouaient découvrir les éléments critiques avancés. Par ailleurs, alors que ce Conseil de surveillance est composé de trois collèges (élus, personnel, personnes qualifiées), une élue du Département (pas des moindres : la 3ème vice-présidente) siège parmi les personnes qualifiées.
Pléthore de griefs
Ce que les personnes que j’ai rencontrées affirment, unanimes, c’est que “la situation bancale [que connaissait l’EPSL] aurait pu évoluer favorablement avec discussions avec les familles, des tables rondes”, le personnel était prêt à des compromis, même à des “sacrifices” sur les primes. Mais il en a été tout autrement : la directrice a coupé les familles des agents, les agents entre eux, et familles et agents par rapport aux responsables. Au niveau du personnel, il n’y a plus de réunions d’équipe. La directrice est même parvenue à diviser les syndicats. Manifestement, mes interlocuteurs ne lui font pas confiance, elle se contredit, annonce quelque chose et fait l’inverse. La CGT est accusée de tous les maux, or les familles, qui approuvent l’engagement de ce syndicat, n’étaient nullement son soutien jusqu’alors : tous aspirent à une amélioration. La psychologue, excédée par le mépris de la direction, a démissionné et en a informé l’ARS, avec précision, par courrier. Le personnel se sent en danger, les départs (cadres, infirmières, aides-soignantes, psychologue, ASH, infirmière hygiéniste) compliquent gravement le travail quotidien. Les recrutements favorisent désormais des candidats qui, si possible, ne provoqueront pas de remous. Des agents sont changés de poste brutalement ou déplacés en urgence d’un Ehpad à l’autre (“mutualisation”), ne connaissant pas les résidents. Si des réductions d’effectifs sur injonction nationale existaient déjà, là, on est arrivé à un point jamais connu jusqu’alors. Les Ehpad doivent faire remonter les événements graves qui se produisent, l’EPSL ne le fait pas. Des erreurs médicamenteuses se sont produites qui n’ont pas été signalées. Comme indiqué plus haut, l’Ehpad de la Pépinière n’a pas eu d’infirmière pendant plusieurs jours. De telles situations, ailleurs, peuvent entraîner une décision de suspension par l’ARS. Ici rien. Les tutelles ont été prévenues qu’il y avait mise en danger. Sans effet.
En septembre, la fille d’une résidente reçoit une lettre de la directrice lui reprochant d’avoir critiqué l’organisation des soins et invoque l’article 31 de la loi du 21 juillet 1881 sur la diffamation envers une personne chargée d’une mission de service public (l’amende, précise-t-elle, peut aller jusqu’à 45 000 euros). Elle a également soulevé le fait que les protections des résidents ne sont pas changées s’ils dorment, et a qualifié cette décision de “maltraitance institutionnelle” : la directrice lui a aussitôt indiqué qu’elle pouvait l’attaquer devant la justice.
Une représentante des familles, dont la mère est pensionnaire dans un des Ehpad, se voit reprocher par lettre par Mme Colombié de se plaindre du manque de soins prodigués à sa mère : ses propos à l’encontre des équipes auraient été perçus comme “agressifs” et “menaçants”. Certains seraient même “diffamatoires” à son égard. Dans cette lettre que j’ai pu lire, on constate qu’une représentante des familles est accusée ni plus ni moins de “comportement perturbateur” et menacée de voir ses déplacements dans l’établissement restreints. Dans sa réponse, elle récuse point par point les accusations et somme la directrice de toutes les justifier (avec preuves et témoins à l’appui).
La médecine préventive (médecine du travail dans le public) s’inquiète du nombre important d’agents qui vont mal. On ignore si les autorités, dont le préfet, ont été saisi par cette instance. Le comité social d’établissement (censé traiter des dossiers dévolus avant les lois Macron au CHSCT, comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) n’a pas été réuni pour aborder ces atteintes à la santé des agents. L’inspection du travail se demande comment se fait-il qu’il n’y ait pas eu (encore) à ce jour de conflit social majeur.
Table ronde aux oubliettes
La CGT avait demandé une table ronde, plusieurs élus avaient donné leur accord, mais une réunion des familles a été organisée par l’ARS le 18 septembre, sans aucun soignant présent, et la table ronde est passée aux oubliettes. Une cinquantaine de familles, rameutées par celles qui sont le plus mobilisées, étaient présentes. La directrice, qui était venue avec quelques employés triés sur le volet, a démenti les accusations et Didier-Pier Florentin, le directeur de l’ARS, a parlé de “rumeurs”, lui qui a entendu les kyrielles de récriminations livrées par le personnel, la CGT, les familles, et les élus (les maires de Fleurance et Lectoure, et le député de la circonscription, ont certainement transmis à l’ARS les éléments inquiétants qu’ils ont collectés). Ce directeur de l’ARS, qui s’est vanté d’avoir recruté une directrice à poigne, a fait montre de son jeu trouble : il s’est exprimé de façon inadmissible envers des personnels absents, ce qui a grandement choqué les familles présentes. Lors d’une autre occasion, il a reçu des plaintes de familles qui avaient sollicité l’anonymat, le lendemain la directrice de l’EPSL avait la liste des noms.
Impuissance des élu.es
Une question essentielle se pose : que font les élus et élues ? Ils et elles connaissent la réalité, savent que des personnels sont épuisés (certains résidents le constatent eux-mêmes). Certains, réalistes, ont admis en aparté qu’ils étaient agacés par la façon de diriger ce regroupement d’établissements et par le fait qu’ils ne sont pas entendus. Les élus n’ont pas autorité sur l’ARS et s’inclinent un peu facilement, craignant une vacance de direction. Ils donnent à leurs divers interlocuteurs le sentiment d’une impuissance. Il faut noter ici que la loi Bachelot de 2009, sous Nicolas Sarkozy, dite loi HPST (Hôpital, Patients, Santé et Territoires) a donné tout pouvoir aux directeurs et aux ARH (devenues l’année suivante ARS), rendant effectivement impuissants les élus locaux. Mais cela ne devrait pas empêcher ces élus, conscients des failles, de saisir le Préfet et l’ARS d’Occitanie. Un management bulldozer laisse penser que la nouvelle directrice a une feuille de route et, comme de juste, ici comme ailleurs, les rumeurs vont bon train sur la façon dont le pouvoir en place tient en main financièrement un certain niveau de la hiérarchie pour qu’il applique des mesures drastiques de réduction de dépenses dans le secteur de la santé. Pourtant tant l’ARS que les élus devraient être vigilants car un accident peut se produire, ils ne pourront pas alors dire qu’ils n’avaient pas été mis en garde.
Le lien de l'article : https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/151024/malaise-aussi-dans-des-ehpad-publics
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