L’acuité avec laquelle les troubles alimentaires se répandent dans nos sociétés détonne avec le silence qui l’entoure. Ce déni frôle la dérision.
Anorexie, boulimie, hyperphagie, néophobie : les troubles du comportement alimentaire sont un gouffre. Ils nous avalent une par une, et plus rarement un par un. En nombre chaque jour plus conséquent. Et de plus en plus intensément. Partout, ces troubles fourmillent, ils sont omniprésents.
Pourtant, ils sont aux yeux de beaucoup invisibles, méconnus et incompris car naturalisés. Trop souvent, même chez les victimes elles-mêmes.
Insidieux, ils se manifestent pour les victimes différemment, parfois progressivement, d’autres fois sèchement.
Ils sont aussi (outre un certain stade) dissimulables, les rendant indiscernables du fait d’une méconnaissance générale.
Ils n’en sont pas moins impitoyables, vecteur d’une détresse abyssale et, par-dessus tout, dangereux, parfois même mortels. 10 % de la population pourrait être concernée. (1)* Moins de la moitié bénéficie d’une prise en charge. (2)*
Ces troubles impactent tous les pans de la vie : social, amoureux, professionnel, scolaire. Leurs effets emprisonnent, contraignent à la solitude. Pis, ils sont moqués, stigmatisés, minimisés, relégués au caprice, au manque de volonté. Leurs qualificatifs sont employés sans discernement, mutilant leur signification première et leurs manifestations concrètes.
Ces troubles sont une addiction, une maladie qui n’a rien d’idiopathique. Ils sont les produits de problématiques plurielles. En partie personnelles, mais avant tout sociétales.
Majoritairement féminins (3)*, ils sont symptomatiques d’une société qui engloutit les femmes, qui dévore leur potentiel d’émancipation.
Ces troubles sont le corollaire des innombrables injonctions qui, chaque fois que la société se complexifie, se démultiplient. D’une en particulier : le strict contrôle de soi, attendu en tous domaines, indépendamment des conditions extérieures et érigé en qualité suprême. D’une autre, de qui les troubles tiennent leur matérialisation en cette forme très précise : l’apologie non résolue du corps mince et entretenu. À l’intersection des deux, le culte de la performance, qui inscrit jusqu’à nos corps en situation de compétitivité et force l'inhibition des émotions.
De bien d’autres encore, trop peu étudiées.
Précisément, ces troubles souffrent d’un manque d’attention patent. L’imprécision des données chiffrées en est la malheureuse illustration. Elle réprime la pleine appréhension du phénomène, loin de se circonscrire aux définitions officielles.
Leur profusion doit nous interroger.
En urgence, la sévérité de ces troubles nécessite d’être reconnue. Le plan national d’action, revendiqué par les associations investies depuis longue date (la FFAB et la FNA-TCA), doit être institué. Les moyens nécessaires doivent être alloués au renforcement d'une filière de soins spécialisés. Une filière de qualité, pluridisciplinaire et dimensionnée aux besoins des patients et des proches.
Le chantier est immense mais les co-bénéfices pour la société peuvent être majeurs.
Les dispositifs que ces troubles appellent s’articulent à l’atteinte d'objectifs de santé publique, de bien-être sociétal.
Il ne reste qu’à percer le tabou qui règne. À dépasser les élucubrations sur le symptôme apparent pour rentrer enfin dans le vif du sujet.
Journalistes, politiques, vous qui rêvez d’occasions pour vous « mettre autour de la table », voilà un sujet marginal à l’ampleur dévastateur encore inconsidéré : régalez-vous.
Parole d’une convalescente
(1)* D’après la Fondation pour la Recherche Médicale
(2)* D’après la Fédération Française Anorexie Boulimie
(3)* Dans 80% des cas d’après l’Assurance Maladie
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